Bleaker Beater, ou l'album de P.H.O.B.O.S. que l'on osait tout juste rêver depuis les morceaux de Triunity - et encore, pas en aussi épouvantable majesté sacrée.

Bleaker Beater, grossièrement, c'est l'impossible intersection de Putrefy Factor 7 avec le Scorn le plus toxique (on sait Frédéric Sacri connoisseur de longue date ès-narcodub), soit celui évidemment de Gyral et Logghi Barogghi.

Vous pouvez ajouter un peu du Converter le plus chargé en venin, il en affleure à la surface du fantasmagorique marécage par endroits, celui donc des moments rampeurs de Shock Front, et un rien de celui de Exit Ritual. Du beau linge, qui se bouscule au portillon ? Des grands noms ? Il en a toujours fallu pour parler de P.H.O.B.O.S., et cette fois plus que jamais, devant ce dub abominablement chimique, effroyablement neurotoxique, digne de venir pourrir l'ambiance des free-parties les plus fièrement sordides, et les soirées indus-fetish les plus hautaines.

Tout le catalogue Hands Productions peut aller gentiment se ranger tout seul dans la poubelle grise (à l'exception bien entendu de Vita Mediativa), et Cask Strength lui-même baisse un peu les yeux. Somatic Responses se tortille sur sa chaise. Noiy vient, enfin, de trouver digne repreneur de son flambeau déviant, Twisted Designz son jumeau doom, yelworC son pendant voodoo-dancehall de l'infra-monde, Re-Load Ambient de voir son étoile défunte scintiller à nouveau dans les profondeurs de l'éther... L'on pourrait en aligner, encore, en cherchant, des références lourdes à porter (ça ne tiendrait qu'à moi, je vous jurerais que The Klinik soi-même passe faire coucou pendant les premières minutes du disque...) qui ne seront que fétus sur les épaules de Bleaker Beater. Mais l'essentiel est ailleurs - si je puis dire - et doit être énoncé sans ambages : Satan est là, dans la pièce. Ou quel que soit le nom que vous lui donniez.

Bleaker Beater est de ces rares disques qui vous crament les sinus à les écouter, qui vous donnent envie de déraisonner, dérailler, autant que de prendre rapidement rendez-vous médical pour un check-up complet de tous vos organes, ou plutôt ce qu'il en reste de viable - non sans vous être renseigné sur les praticiens réputés susceptibles de ne pas dénoncer aux autorités le blasphème contre le corps humain, qu'ils ont toutes les chances de contempler une fois devant votre personne outragée. On a la béate sensation de voir s'enfin nouer deux (voire trois) brins jamais jusqu'alors conciliés de son propre paysage musical en tapisserie.

On irait même - allez ! - jusqu'à dire que Sacri (ce n'était pourtant pas comme si l'on était encore en attente qu'il trouvât sa propre voie : même vu comme cousin de Vindsval, il avait déjà plusieurs fois inventé son style tout à fait unique) vient d'enfanter le cradub. Lequel reste toujours, comme de bien entendu, toujours plus, même, du sacrodub : il n'est sans doute pas une coïncidence fortuite que le projet opère régulièrement des références au sanskrit, langue fictive désirée comme perfection et dont la seule chose à peu près que je me rappelle des cours de linguistiques était que le pinacle recherché à travers elle était le triple sens, dont le premier ne me revient pas (le guerrier ?) mais les deux autres étaient le mystique et, naturellement, l'érotique.

L'homme continue d'épurer sa plume, la rendant toujours plus terriblement menaçante dans le même temps qu'elle devient plus effilée, et ses versets toujours plus hiératiques, saturés de sentiment du sacré. On poursuivrait même, pour un peu, le jeu des sonorités et de l'inversion des valeurs, en observant que sa version du narcodub semble parfois, dans la pureté torride et précision horrible (le krys, sachez-le, est inhumainement affuté) avec lesquelles elle résonne et ouvre ses élytres, une sorte d'anti-nacre, mais mettre des mots dignes sur pareil miracle infernal relève toujours de la gageure, et sans doute vaut-il mieux laisser, plutôt que vos yeux, vos oreilles - et avec elles tout votre système nerveux intoxiqué - s'écarquiller, aussitôt que possible, en présence de Bleaker Beater lui-même.

"Biomécanique", au passage, vient de prendre une nouvelle définition. Y compris religieuse, vous l'aviez deviné. Ou plutôt : une dimension.

 

- Gulo Gulo / nov 2021

https://satanowesusmoney.blogspot.com/2021/11/phobos-bleaker-beater.html

 

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