Fondé en 2000 par Frédéric Sacri, membre unique sur les disques essentiels que sont Tectonics (2005), Anœdiapl (2008), Atonal Hypermnesia (2012) et sur le split-album Trinuity (2014) partagé avec Blut Aus Nord, P.H.O.B.O.S. évolus dans une galaxie où expérimentations blacl metal, doom, industrielles et dub font tressaillir une matrice à la noirceur et aux vibrations confondantes. A partir de Phlogiston Catharsis en 2016, le musicien Mani Ann-Sitar intègre P.H.O.B.O.S. et alors que Bleaker Beater (cf. chronique dans notre précédent numéro) vient de sortir, c'est ce dernier qui nous entrebâille la porte d'un projet opaque et mystérieux, aussi vrombissant que cathartique.

 

P.H.O.B.O.S. est un projet musical assez atypique qui évolue aux confins du black metal, du doom, du dub et des musiques industrielles, et restitue finalement une vision assez décalée et dissonante des habituelles tendances électro metal. Peux-tu nous faire un petit résumé de l'histoire du groupe, ou au moins nous situer ses principales influences musicales initiales ?

Résumer cette histoire longue de vingt ans sera fastidieux, d'autant plus que ma participation à P.H.O.B.O.S. est relativement récente. Mais concernant les influences, on peut parler au départ des ambiances métalliques, électroniques et dissonantes défrichées par Bathory, Godflesh, Voïvod ou Khanate, entre autres. Puis d'album en album, P.H.O.B.O.S. a pris des directions plus déviantes, "dégénérées", sombres et hypnotiques, dans des genres variés.

 

P.H.O.B.O.S. est un projet musical assez atypique qui évolue aux confins du black metal, du doom, du dub et des musiques industrielles, et restitue finalement une vision assez décalée et dissonante des habituelles tendances électro metal. Peux-tu nous faire un petit résumé de l'histoire du groupe, ou au moins nous situer ses principales influences musicales initiales ?

Résumer cette histoire longue de vingt ans sera fastidieux, d'autant plus que ma participation à P.H.O.B.O.S. est relativement récente. Mais concernant les influences, on peut parler au départ des ambiances métalliques, électroniques et dissonantes défrichées par Bathory, Godflesh, Voïvod ou Khanate, entre autres. Puis d'album en album, P.H.O.B.O.S. a pris des directions plus déviantes, "dégénérées", sombres et hypnotiques, dans des genres variés.

 

A-t-il été facile de rejoindre un projet qui semble tout de même très lié à l'univers personnel de Frédéric Sacri ? Vous vous connaissiez d'où ?

Nous nous sommes fréquentés pendant notre enfance à La Réunion. On avait les mêmes affinités musicales et culturelles. Puis on s'est perdus de vue pendant très longtemps. Ce n'est que lors de l'élaboration de "Phlogiston Catharsis" que la reconnexion s'est opérée. Face à ma motivation et mes compétences techniques, Frédéric a accepté de me confier certaines responsabilités. Il n'a pas été évident au début de cerner sa vision radicale des choses et de savoir comment la concrétiser au travers du son. Depuis, on a su installer un certain nombre de méthodes et d'automatismes entre nous.

 

Je crois que Frédéric n'aime pas trop parler avec les médias. Il ne semble plus vouloir s'exprimer publiquement en tout cas. Est-ce lié à de mauvaises expériences ou cela correspond-il aussi à la vision un peu hermétique, en termes d'atmosphères musicales, qu'il a de P.H.O.B.O.S. ?

Il n'y a pas de raison particulière, à ma connaissance. Sûrement plus une volonté de ne pas répéter ce qu'il aurait pu avoir déjà développé lors de précédents entretiens. Il privilégie ce qui le motive le plus, sans bavardage. Il ne faut pas chercher plus loin je crois.

 

Votre nouvel album, Bleaker Beater, vient de sortir sur Megaton Mass Products. Peux-tu nous parler un peu de sa conception, de sa réalisation et de sa production?

Le parti pris pour cet album était de nous affranchir des ordinateurs et des guitares. On voulait travailler à partir de hardware analogique, comme des compresseurs, des filtres et des générateurs de sons possédant du grain, de la puissance et de la personnalité. Nous ne supportions plus l'outil écran/clavier/souris, trop aliénant pour une écoute attentive. Au lieu de nous perdre dans une MAO faussant notre inspiration, nous souhaitions davantage manipuler et ressentir l'électricité. La matière instrumentale a été produite et enregistrée en temps réel lors de nombreuses sessions. Chaque titre figurant sur l'album est donc issu d'une seule et unique version live sélectionnée, complète et sans éditing. Les prises de voix et leur production étant du domaine de Frédéric, je ne saurai pas t'expliquer en détail son mode opératoire, d'autant plus que ces phases se sont déroulées dans un état de conscience particulier, et ont été réalisées en mon absence. Ensuite, nous avons confié le mastering à une oreille extérieure au studio, commeon le fait d'habitude. Comme nous apprécions la dynamique de certaines productions black metal du Necromorbus (NdR: ou NBS Studio, studio d'enregistrement monté à Söderfors en Suède en 1995 et célèbre pour ses enregistrements BM, parmi lesquels Inferno, Watain ou bien sûr Ofermod, le groupe de son fondateur Tore Stjerna), nous avons décidé de travailler avec Tore Stjerna (NdR: Ofermod, ex-Corpus Christii, ex-Funeral Mist) pour l'assemblage final. Il existe également en CD une version instrumentale et réarrangée de l'album, finalisée par Marc Titolo (NdR: Dither, Dirge), dont le rendu est plus froid et incisif.

 

Je trouve l'album moins axé black-metal industriel que Phlogiston Catharsis, et d'une certaine façon plus électronique et atmosphérique, avec des expressions mécaniques technoïdes plus malingres et atmosphériques, assez proche du glitch/IDM (« Haemophiliac Stomp »), de l'axe Skinny Puppy /Front Line Assembly, voire parfois de Dälek. Est-ce une impression d'écoute, ou avez-vous fait le choix d'aller davantage dans cette direction plus électroniquement intriquée ?

Nos diverses racines électroniques se sont manifestées instinctivement lors des manipulations sonores, je dirais. Avec le recul, cela va de la synthpop la plus putassière façon Erasure, en passant par l'electronica la plus cérébrale école Pan Sonic ou le black industriel de MZ.412. Comme tu l'as remarqué, l'ombre de pointures comme Skinny Puppy et F.L.A. plane indéniablement, de même que celle des productions des labels Wax Trax, Nettwerk, KK Records ou Cold Meat Industry, qui ont éduqué nos oreilles dans les 90s. Ces sonorités ont été remodelées d'une façon moins convenue et plus ouverte, notamment en ce qui concerne nos rythmiques. Là encore de vieilles passions enfouies se sont invitées, et nos beats sont naturellement nés du dub jamaïcain et anglais, ainsi que de la tradition maloya de la Réunion. Ces pulsations ne se manifestent pas de manière immédiate, car eles sont durcies et saturées par le son P.H.O.B.O.S. Mais leur provenance reste reconnaissable pour un habitué de reggae ou de musiques roots.

 

Je trouve à votre musique un caractère dépressif par instants, notamment sur la première partie du disque et l'ouverture « Pyrocene Antibodies ». Est-ce le contexte épidémique qui vous a aiguillé vers cette tonalité encore plus intériorisée ?

Cela peut paraître arrogant, mais cet environnement au ralenti n'a pas eu d'impact sur notre état d'esprit. On peut même dire que nous étions préparés à cet isolement, peu dérangeant finalement pour des personnes distantes et introverties comme nous. Pour pousser la provocation plus loin, chaque déconfinement a plutôt eu l'effet inverse, c'est-à-dire celui de nous pousser à nous retrancher encore plus dans notre studio.

 

Pour rester dans ce contexte sanitaire, vos titres ont d'ailleurs à mon sens un côté très médical qui s'accorde avec les tonalités cliniques de la musique. De quoi parlent-ils ? Accordez-vous en général une importance particulière aux textes ou aux mots qui accompagnent vos sons ?

La tonalité finale doit primer. Et s'il le faut en supprimant la présence humaine qui serait véhiculée par la voix. Si le verbe est là, il doit se fondre dans l'atmosphère déjà en place, sans se mettre trop en avant. Effectivement, pour cet album les thématiques sont plutôt médicales et biologiques, avec de nombreuses allusions à des dysfonctionnements cardiaques et sanguins, reliés à des notions spirituelles et occultes. Frédéric serait mieux placé que moi pour t'expliquer le pourquoi et le comment de cette inspiration, car elle est intimement liée à ses expériences récentes. Pour autant nos textes ne sont pas secrets. Ils apparaissent sur nos pochettes, pour qui veut prendre le temps de les décoder.

 

Finalement, il y a quelque chose d'assez sci-fi dystopique dans ce disque. Je pense notamment aux inclinations robotiques de « Basalt Ganglia », qui donne l'impression d'entendre une machine en pleine action mentale.

IJe te rejoins complètement quant à cet univers dystopique, même si mes références sont probablement différentes de celles de Frédéric. Pour ce que je sais, il a baigné dans certaines œuvres littéraires et cinématographiques pessimistes, comme "Metropolis", "1984", "Akira", "Fahrenheit 451", "Logan's Run", etc. Pour moi, ce serait plutôt du côté de romans comme la Trilogie de Béton de J.G. Ballard, ou les projections de Maurice G. Dantec et Michel Houellebecq. Comme tu peux le constater, il s'agit de références pour la plupart anciennes, mais dont les sujets continuent de nous obséder: société du divertissement, besoin de reconnaissance immédiate, effacement de l'Histoire, omni-surveillance, intelligence artificielle, biotechnologie, et j'en passe. Derrière un vernis de progrès humaniste, la soumission des masses à une technologie aux ordres est déjà là. Nous partageons avec Frédéric cette vision futuriste que certains qualifieraient de paranoïaque et négative, mais que nous croyons au contraire aussi réaliste qu' imminente.

 

En matière de paranoïa négative, on peut constater en tout cas que plus le disque avance, plus les rythmiques se révèlent tordues. « Procollapsolog » et « Solve Et Coagula ont un côté très doom/dubstep avec leurs infrabasses et percussions vrillées. Le rugueux « Granulahar Toxin » joue plus la carte de fractales techno/hardcore bien lourdes, et le syncopé « Beta Blocker » penche, lui, vers la tendance rhythmic/noise des labels Hands/Ant Zen. Vous aviez envie de crever le plancher du dancefloor par moments?

Ce n'était pas vraiment calculé, mais vers la fin des sessions, nous nous sommes laissé convaincre par notre nostalgie du son crasseux des free parties des 90s, nos machines s'y prêtant idéalement. Nous n'avons pas non plus camouflé nos affinités avec le clubbing EBM de D.A.F. ou de Nitzer Ebb, que nous adorons autant que la hardtek de rave. D'où sur les deux derniers titres que tu cites un côté dansant autoritaire. Mais nullement festif.

 

Est-ce difficile de jouer à la fois la carte d'un certain avant-gardisme musical et d'une brutalité sonore froide, presque cathartique, comme sur Bleaker Beater, dont le titre lui-même évoque cette tendance à la fois brute et évasive. Comment réfléchissez-vous à l'équilibre musical à garder entre ces deux orientations ?

Cette définition d’avant-gardisme est notre conception de l'exercice artistique : curiosité, audace et exigence. Nous ne recherchons pas l'équilibre réconfortant, mais plutôt la tension permanente qui inquiète, voire le point de rupture. Seules nos clés fréquentielles sont transmises pour faire fonctionner l’imaginaire dans cette direction. L’auditeur contemporain est trop souvent gavé de visuels ultra-codés, animés ou pas, et d'à-côtés farfelus, cache-misères d'une proposition musicale médiocre. Nous osons croire que le fan de P.H.O.B.O.S. est suffisamment intelligent, cultivé et ouvert pour façonner son propre voyage mental, à partir du seul vecteur son que nous lui envoyons.

 

Concrètement, comment vous répartissez-vous les tâches, tant en termes de composition que de performances vocales/instrumentales ?

Tout le processus de capture des voix et de leur production est le terrain privé de Frédéric. Je m'occupe de la partie matérielle, en l'aidant à transcender ses idées selon les possibilités des machines utilisées. J'ai donc un rôle de technicien subalterne dont je me contente amplement. Car j'adore confronter les défis technologiques avec les principes de création, tout en personnalisant notre configuration. Ensuite nous improvisons ensemble, en inversant les rôles selon les moments. En pratique, pour chacun de nous, c'est soit les textures, soit les beats.

 

Par conséquent, ça doit plutôt bien sonner en live? On a pourtant l'impression que c'est une dimension qui ne vous intéresse pas vraiment.

Tu l'auras déjà compris, mais nous le répétons encore: notre motivation est purement égoïste et isolationniste. Notre satisfaction d'artistes s'arrête à la recherche sonore et à la composition en studio, avant de transmettre la création la plus aboutie possible sur un beau support physique. La performance publique, le divertissement ou le spectacle "vivant" sont des objectifs futiles et égocentrés, définitivement bannis de la démarche de P.H.O.B.O.S., qui se veut musicale avant tout.

 

J'aimerais avoir quelques mots sur le label Megaton Mass Products et sur le « laboratoire Sapel Lomor », dont j'ai découvert l'existence via sa notification sur Discogs. Font-ils partie intégrante du projet P.H.O.B.O.S. ?

Tout à fait. Frédéric a très vite compris que la musique bâtarde de P.H.O.B.O.S. n'allait pas coller à la ligne éditoriale de beaucoup de labels. Megaton Mass Products a été créé pour pouvoir diffuser certaines créations lorsque leur publication n'intéresse personne. Encore récemment, le label auquel nous sommes liés contractuellement (NdR: Transcending Obscurity) a refusé de sortir "Bleaker Beater" pour la simple raison qu'il n'y avait pas de guitares. Nous sommes loin de l’aventurisme passé d’un Earache, qui ne craignait pas de faire se cotoyer O.L.D et Terrorizer sur le même roster. Nous avons donc repris les masters en main, avec notre budget et nos méthodes, certes plus modestes. Quant à Samel Lomor (NdR: la chapelle des morts en créole réunionnais), il s'agit de notre studio d’enregistrement personnel, refuge équipé pour travailler sans contrainte de temps, dans des conditions professionnelles idéales.

 

Quels sont vos projets maintenant que l'album est terminé ?

Comme après chaque sortie d'album, Frédéric s'adonne à la peinture à l'huile, avant de se remettre à la composition. Il suit également une rude initiation au surbahar (NdR: sorte de sitar basse originaire du nord de l'Inde), ce qui complètera sans doute notre palette sonore. De mon côté, je me nourris de tutoriels et de manuels d'utilisation, afin de dompter au mieux notre arsenal. Tout en cherchant à provoquer l'accident et l’imprévu, partenaires précieux dans notre processus créatif.

 

 

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